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des nouvelles et des news
3 mars 2016

Un samedi au supermarché

Poisse, c'est samedi, jour des courses. Ce fabuleux et merveilleux samedi. Comme ça peut lui pomper l'air ces sacro-saintes courses où Monsieur passe son temps à choisir comment il va bien pouvoir dépenser l'argent gagné dans la semaine. Elle traîne son caddie sur le parking, les enfants sont joyeux comme d'habitude, samedi c'est aussi le jour où il fait pénitence auprès d'eux pour pallier au manque d'intérêt de la semaine et les combler de mille merdes à acheter. C'est sa perception de l'amour. Fatalement les enfants sont ravis, et elle traîne son caddie. Dans le parking, face à elle, elle distingue enfin l'homme qui vient dans sa direction, un éphèbe, musclé et bronzé, jeune, des yeux transparents, merveilleux, qui se plantent bibliquement sur elle, avec une intensité qui la foudroie. Elle ne comprend pas, se méprend et machinalement tourne la tête, à gauche, à droite, derrière aussi. Mais il n'y a pas à tergiverser, c'est bien elle qu'il regarde. Non il ne la regarde pas, il semble fasciné, et pour le coup, elle aussi. C'est le plus prodigieux des échanges qui ne lui est jamais arrivé. On dirait une pub, Monsieur de Fursac, Yonger et Bresson, elle ne sait plus. Elle, lui, le flash, l'amour, c'est sûr. Elle entend les violons alentour qui jouent et deviennent fous, des angelots dansent la carmagnole, les cupidons tirent leur flèches à tout va autour d'eux, de crainte elle baisse même la tête, il font n'importe quoi, la musique la couleur du ciel, celle de ses yeux, son sourire qui la pourfend, son cœur qui condescend et son caddie qui couine. Ils se croisent mais leurs yeux ne se lâchent plus. Révélation. Amour, gloire et beauté au supermarché.

Plus tard, déambulant dans les rayons, elle se sens ailleurs, déstabilisée par cette rencontre. Troublée par ces élans qui poussent parfois les individus l'un vers l'autre, qui n'ont rien de rationnels. C'était lui, c'était avec elle, c'est sûr. C'est surtout n'importe quoi, elle en a conscience, mais c'est si bon. C'est samedi, elle fait les courses, les gosses courent partout et mettent n'importe quoi dans le caddie à leur habitude, articles qu'elle se dépêche de reposer dès qu'ils ont la tête tournée. Tradition du samedi. Ils suivent leur père au rayon hifi. Elle reste seule et aime ça, car elle est à l'envers, elle doit l'admettre, depuis longtemps déjà personne ne l'avait ainsi dévorée du regard. Alors qu'elle se remet de son émoi, au détour d'une allée, il est là, face à elle. A nouveau, ses yeux sont plantés sur elle, il attend. Malgré elle, l'assurance habituelle de celle qui est fière de dépenser son fric le weekend, couverte d'un chapeau, maquillée comme pour un cocktail – elle n'a plus souvent que cette occasion pour s'habiller – dégringole au rythme des tremblements de ses jambes qui ne veulent absolument pas rester solidaires du reste. Elle a un peu chaud, un peu soif aussi – ça n'a aucune importance dans le contexte actuel, mais bon, durant une nano-seconde et n'ayant plus de salive elle y a pensé – elle a même blêmi. Il est face à elle et la regarde toujours aussi intensément, l'électrise. Les violons ont disparus, elle n'entends que le son puissant et sourd du violoncelle dont l'écho malmène dangereusement ses entrailles. Il approche son caddie du sien, en fait, il est ému aussi et le bouscule carrément. Il met quelques secondes à parler, elle voit bien qu'il ressent la même fascination. Il ose.

  • ça va, vous avez l'air bizarre

  • hummmm, oui, oui merci, pourquoi ? elle tente une réplique mais ne trouve rien de plus intelligent à rétorquer.

  • Je ne sais pas mais... vous avez l'air de vous sentir mal.

Elle l'observe intensément, comme s'il se moquait d'elle, s'il occultait volontairement son émotion. Vexée, elle aurait aimé qu'il avoue lui aussi son trouble, que cette rencontre est pour lui tout aussi surprenante et inédite. Elle aurait aimé la vérité. Comme elle, il a l'air tout étonné de ce qu'il vient de se passer.

  • Excusez moi, mais j'avoue que je n'ai pas l'habitude de fusiller du regard les gens encore moins de flirter et j'ai un peu l'impression que c'est ce qu'il s'est passé.

  • Je vous rassure, moi non plus, mais je n'ai pas pu m'en empêcher. Je vous ai vu et …

  • Je ne suis pas comme ça, je suis une femme mariée et mère de famille et je ne dois pas faire ça.

  • Je .. je suis marié aussi et je ne voulais pas vous dé... déranger, ânonne t-il. Euh vous allez mieux maintenant ? Alors je vais vous laisser

Voilà c'est tout, pense t-elle, c'est tout, ça va s'arrêter là, tout simplement. Je rencontre l'homme de ma vie, enfin un autre homme de ma vie, et il ne veut pas me déranger !

Alors, ne réfléchissant pas plus, car ça l'énerve tout simplement, elle lâche tout.

  • Non, non je ne vais pas bien, je suis ailleurs, je suis avec vous, je suis sans vous, je ne comprends rien. Nous nous sommes vus, nos regards se sont croisés, nous avons fondu, c'était juste magique. Voilà je ne comprends rien, je dois faire mes courses mais ne sais plus ce que je fais ici ni ce que je dois y faire, je suis fascinée par cette rencontre, je suis hypnotisée par vous. Comme si nous étions les derniers survivants de la planète et qu'il ne tenait qu'à nous de la repeupler et de plus, nous sommes parfaitement consentants. J'ai les genoux qui tremblent, le coeur qui bat comme un débile et je me sens complètement imbécile. Vous avez l'air aussi fracassé que moi par cette rencontre, c'est comme une hallucination, un foyer ardent et j'ai atrocement envie de m'y brûler. Alors, non, je ne vais pas bien.

Elle sent en lui la gène qu'elle a générée, elle perçoit son malaise, mais il fallait qu'elle s'extériorise, ses nerfs ébranlés ne pouvaient rester enchaînés. Et puis, au diable, ils ne se reverront jamais alors autant avouer son trouble et la décharge électrique que ce moment lui procure. Il se passe quelque secondes avant qu'il ne réagisse. Manifestement il a absolument les mêmes sensations qu'elle, il a certainement visionné les mêmes films stupides. Ses belles lèvres ourlées s'entrouvrent pour parler à son tour, mais se referment, elle n'a de cesse de les dévorer du regard.

  • Ouais, c'est amusant, finit-il par dire

Bourricot, c'est pas amusant, c'est magique, ouvre les yeux.

  • Bonnes courses alors, conclut -il.

Il tourne sur lui même et commence à se diriger en sens inverse. A la fois déçue et soulagée, elle le regarde s'éloigner, et, surprise revenir vers elle.

  • Non, finit-il par dire, rouge de confusion, on ne peut pas se séparer comme ça, on doit se revoir, ça doit être un truc du genre « c'était écrit ». Echangeons nos numéros et on verra bien, on ne peut pas se séparer.

Si elle n'avait pas été ébranlée par tout ce qu'il venait de se passer, cette fois-ci elle chancelait. Cet aveu, elle l'a désiré, la suite elle n'y avait pas pensé. Emprunte, elle ne sait que rétorquer, que faire, accepter, prendre le risque de le rencontrer de détruire son petit univers si bien rangé, celui dans lequel elle étouffe, refuser.

Alors elle tend son téléphone et demande

  • Pourriez-vous noter le votre, je ne sais même pas comment vous vous appelez.

Il lui sourit, il est splendide et à nouveau le charme opère. Tapote sur le portable et le lui remet.

  • J'ai mis mon nom sur le téléphone. Vous promettez d'appeler Mme L'inconnue du supermarché ? Vous me le promettez ?

  • Je pense, je ne sais pas, merci

  • Bonne journée, à bientôt

Elle reste seule avec ses pensées, elle sait que ce petit épisode de charme laissera un éternel goût amer, alors elle se décide à l'accepter. C'est si beau de rêver les yeux ouverts, un jour dans un supermarché, un samedi de courses, quand un inconnu vous observe et vous dévore littéralement du regard (l'effet Impluse?) , vous êtes unique, et, il n'y a pas de doute, vous êtes celle ...

Elle tourne nonchalamment son caddie et file en sens inverse, elle est gourde et empêtrée, dans son emportement à déguerpir son chapeau tombe lamentablement sur ses yeux, elle n'y voit qu'à moitié et bouscule une personne, elle veux fuir. Le rayon d'à côté est celui des petits-déjeuners .Elle y retrouve son fils qui court – il court toujours celui-là, particulièrement au supermarché, comment si en se déplaçant vite d'un bout à l'autre du rayon il pouvait l'inciter à lui acheter plus de friandises, il court, on dirait le rituel, la danse d'un chien, pour un peu il ferait pipi devant les barres chocolatées - Elle le regarde, attendrie par son manège et réussit à l'attraper au vol. Alors elle le serre très fort contre elle, la chaleur de son petit corps, la moiteur de son cou la fait un peu chavirer. Paradoxalement le cœur de son enfant qui bat si vite la calme et tempère ses émotions. Elle sent reprendre le cours de sa vie. Elle est mère, mal mariée, elle s'ennuie et ne s'épanouit pas vraiment dans sa petite vie étriquée mais elle est mère avant tout. Il ne tient qu'à elle de s'évader sans réellement s'en aller. Et une rencontre dans un supermarché ne va rien y changer. Elle repense à ce moment de magie, ce moment béni, elle en est chavirée, mais, qu'est-elle sensée faire ?

Alors, d'une main elle saisit la boite de multi-choco de l'autre elle manipule son téléphone, et appuie.

Contact supprimé.

C'est aussi ça les courses au supermarché.

 

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